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lettre JP Martin - JACROT

Lettre de M. Jean-Paul Martin au directeur de l'ILL

Cherbourg le 26 janvier 2016

Monsieur le Professeur,

La teneur de votre message marque ce que j’appellerais une situation de rupture irréductible entre générations et, par là-même, une déchirure profonde. J’ai eu l’honneur de faire connaissance de Monsieur Bernard Jacrot dès 1966 avec les études entreprises sur le concept du réacteur. Et j’ai eu l’occasion de le fréquenter sous un aspect professionnel pendant la construction jusqu’en 1972, date à laquelle après la divergence neutronique, nous sommes tous revenus à Saclay. Son image a toujours constitué pour moi qui ne suis qu’un simple ingénieur dans le domaine de l’ingénierie nucléaire, le véritable visage de la recherche scientifique fondamentale. Et par sa convivialité, ses questions extrêmement fondées quant à ce que nous accomplissions, je dois avouer que j’étais extrêmement humble et attentif lorsque Monsieur Jacrot nous interrogeait sur l’issue de ce concept de réacteur, tellement novateur dans le domaine technologique et thermodynamique.

Au cours d’une mission que nous avions accomplie en Union soviétique en juin 1966 avec nombre d’ingénieurs du projet, mais en l’absence de Monsieur Jacrot lui-même, des physiciens soviétiques s’étaient ouverts à nous, concernant les propres travaux de Monsieur Jacrot dont ils parlaient avec admiration. Et qu’ils qualifiaient déjà de travaux remarquables. C’est cette vision que je garde en moi, c’est-à-dire celle d’un grand scientifique faisant totalement corps avec des projets d’avant-garde tout en traitant avec beaucoup de modestie, de réserve et de respect, nos propres constatations voire nos évaluations sur l’issue de la construction. Il me laisse, il nous laisse, l’empreinte d’un authentique homme de science modeste dans son propos et audacieux dans ses travaux comme dans ses résultats, car l’admiration de ses pairs en était la preuve indirecte pour nous qui n’étions pas en mesure de pouvoir « jauger » ces avancées. Son image reste irréprochable car elle constitue un modèle de l’homme aux capacités exceptionnelles, mais dévoué essentiellement aux progrès de la connaissance ! C’est tout au moins ainsi que je l’interprète. J’éprouve personnellement une profonde tristesse depuis que j’ai appris sa disparition et je vous prie, dans la mesure où l’Institut Laue-Langevin communique avec sa famille, de bien vouloir leur transmettre l’expression de mes condoléances très émues.

En vous priant, Monsieur le Professeur, de croire en mes sentiments respectueux et dévoués.

Martin Jean-Paul – ingénieur retraité du CEA - ancien chef de projet de la construction puis de la rénovation du Réacteur à Haut Flux de l’Institut Laue-Langevin

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Dernière mise à jour: 21 February 2020