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Rudolf Greifled

L'affaire Greifeld

Neue Rheinische Zeitung, www.nrhz.de

par Alain Filhol, 27 février 2014

L’affaire Rudolf Greifeld a commencé à l’ILL en 1975, après que les Klarsfeld aient démontré que ce membre du Comité de Direction avait été un haut gradé nazi et un antisémite notoire.

Greifeld a été promptement démissionné (son nom n’apparaît plus dans le rapport annuel de 1976). Selon divers articles web, il aurait été mis à la retraite (forcée) en 1975 par le Ministre de la recherche allemande (M. Matthöfer). Il aurait donc été contraint de quitter son poste de vice-président du Comité de Direction de l’ILL et celui de Directeur du Centre de Recherches de Karlsruhe (FZK maintenant KIT). En revanche, cette même presse s’étonne qu’il soit  toujours présent dans la liste des "Sénateurs honoraires" (Ehrensenator) que le KIT (Institut de Technologie de Kalsruhe) a publiée en 2012.

Comment s’est donc passée la démission forcée de Greifeld à l’ILL ? Les documents trouvés sur le web disent ceci:

  • <http://www.stattweb.de/files/civil/Doku20130105.pdf>
    Der massive Protest französischer WissenschaftlerInnen am Institut Max von Laue – Paul Langevin ILL in Grenoble und in dessen Folge die Demissionierung Greifelds dort im Lenkungsgremium und [...].
    Cet article évoque une protestation massive de scientifiques de l’ILL
  • <http://www.stattweb.de/files/civil/Doku20121231.pdf>
    Aufgrund der Recherchen und Veröffentlichungen von Grünbaum und den Klarsfelds hatten 400 WissenschaftlerInnen der internationalen Forschungseinrichtung „Institut Laue-Languevin“ ILL in Grenoble mit einer Petition die Demission Greifelds als deutsches Mitglied im ILL-Lenkungsausschuss durchgesetzt.
    Cet article évoque une pétition des scientifiques français.

Notre mini-enquête tente de vérifier ces affirmations.

L'enquête

J’ai contacté 19 personnes présentes à l’ILL en 1975 et 17 ont répondu à ce jour, soit 6 allemands,  3 anglais,  8 français, 1 belge.

Le Comité de Direction de l’ILL en 1975
Le rapport annuel de 1975 donne la liste ci-dessous. Les noms en gras sont les personnes non décédées dont j’ai pu retrouver la trace :

  • (Gb) L.Hobbis, J. Paton, M. Robins, B. Fender
  • (Fr) J. Cantacuzène (CNRS), J. Horowitz (†1995), M. Pascal,
  • (De) (R. Greifeld, vice président, †1984), L. Genzel (Max Planck Gesellschaft), W, Hofbauer, W. Menden (Ministère de la Recherche et Technologie, Ministère des Finances mais je ne sais pas dans quel ordre)

Témoignage Jacques Schweizer

Jacques Schweizer, physicien du CEA/CENG, travaillait à l’ILL au moment des faits. Il rapporte ceci :

Oui, je me souviens bien de cette affaire.
A cette époque, j'avais été avisé par des amis scientifiques parisiens qu'il y avait dans le comité directeur de l'ILL un nommé Greifeld qui était une personne peu recommandable. Il était ou avait été directeur d'un institut scientifique allemand et s'était fait remarquer par des propos racistes (antisémites je crois).
A la suite de ces propos, Serge Klarsfeld avait fait des recherches sur son passé pendant la guerre et il avait trouvé, entre autre, qu'il avait été un des responsables de l'occupation de Paris. Il avait signé en particulier une lettre interdisant aux Juifs d'entrer dans les cafés.
J'avais affiché cette lettre dans l'entrée de l'ILL. Quelques heures plus tard, Dreyfus qui était directeur ou sous directeur, l'avait arrachée. Je suis allé m'expliquer avec lui dans son bureau et nous nous sommes engueulés.
Quelques jours plus tard, un représentant syndical (peut-être Mollier?) a fait une déclaration ou a posé une question à une réunion officielle qui, je crois, précédait le comité de direction. Le résultat a été immédiat : Greifeld a été remplacé par les autorités responsables allemandes.
[….]
A l'adresse
    http://www.stattweb.de/files/civil/Doku20130109.pdf
il y a le fac simile d'une lettre et je crois bien que c'est cette lettre que j'avais affichée à l'ILL, en même temps qu'un document du comité de direction avec la signature de Greifeld, pour montrer que c'était bien sa signature.
[…]
Je suis à la disposition d'un journaliste qui voudrait me rencontrer, mais je n'en dirais guère plus que ce que tu sais déjà [AF : c’est-à-dire texte ci-dessus].

Le compte rendu du Comité d’Entreprise (C.E.) de l’ILL de novembre 1975 confirme la version de Jacques Schweizer en ces termes :

M. MOLLIER remet à la Direction une lettre signée des 3 sections syndicales, CFDT, CGT, SILLC, concernant les accusations dont fait l’objet M. le Dr. GREIFELD.

Le débat qui s’en suit confirme également une certaine résistance, ou un attentisme prudent, de la part de la Direction de l’ILL et se conclut ainsi :

M. Thorel, pour résumer ces remarques, propose le texte intitulé « Question au Comité d’Entreprise » (et annexé au présent compte-rendu), qui sera immédiatement transmis sous forme écrite aux membres du Comité de Direction.
Ce texte est approuvé à l’unanimité, La Direction s’abstenant de prendre part au vote.

Témoignage de Brian Fender

Brian Fender, membre du Comité de Direction en 1975, puis directeur de l’ILL (1982-1985), écrit ceci :

What I can recall would not contradict Jacques account. There was not any debate that I can remember merely an announcement that he had resigned or had been replaced - for obvious reasons once the facts were known. I would be surprised if the leaders of the national representatives e.g. Jules Horowitz for the CEA (and de facto for France) did not have discussions outside the steering committee. If there were records of any such conversations between Horowitz and the UK the CEA might just have an archive.

Témoignage de René Chagnon

Enfin, René Chagnon, membre du C.E., donne de tout ces évènements une version très précise :

Le récit de Jacques Schweitzer, quant au début de cette affaire est juste, et l'annonce de la présence de Greifeld au comité directeur qui devait se tenir prochainement à Paris ( à vérifier!) a effectivement provoqué un rassemblement de protestation dans le hall de ILL. Je me souviens bien que l'émotion et l'indignation était sincères et que le rassemblement s'est tenu spontanément bien que suggéré par quelques uns (Jacques, Carmen Bertet, …).
La question a été débattue lors du C.E. qui se tenait en préparation du comité directeur à venir. En résumé les représentants du personnel (Stirling, Herbert Just, Pierre Thorel (?) et moi meme) avaient déclaré se déplacer comme prévu mais avaient prévenu qu'ils refuseraient de participer aux débats si Greifeld était présent . au grand embarras de Dreyfus (Directeur de l’ILL) !....
Il faut se rappeler que les réunions du comité directeur était toujours précédées par une réunion préparatoire qui se tenait en général la veille. La réunion officielle se tenaient en présence des représentants du personnel qui pouvaient intervenir dans les débats sans avoir de droit de vote bien sur. Le matin de la réunion pléniaire, lorsque nous sommes arrives, Dreyfus et Plattenteich nous attendaient pour nous annoncer que Greifeld ne serait pas présent à la réunion. Nous n'avions plus de commentaires à faire et la suite du comité s'est déroulé sans aucune allusion à cette affaire et dans le climat habituel.
Voilà ce dont je me souviens. Cette histoire m'avait marqué à cette époque et mes souvenirs sont encore imprégnés de l'évènement.

Bilan

Parmi les 18 personnes qui ont répondu, seul René Chagnon a pu donner des précisions sur une manifestation d’un certain nombre de personnes, d’autres n’ont aucun souvenir de cette affaire Greifeld et la majorité dit en avoir seulement entendu parler. Cette manifestation, qualifiée de "massive" sur le web, n’a donc vraisemblablement concerné qu’une part assez limitée des 400 personnes constituant le personnel de l’ILL de l’époque. On voit en revanche le rôle clé de personnes comme Jacques Schweizer et des représentants syndicaux.

Le compte rendu du C.E. de l’ILL de novembre 1975 précise ceci :

Les informations publiées dans la presse concernant les activités du Dr. R. Greifeld en 1941 ont soulevé une grande émotion parmi le personnel de l'Institut.
Un complément d'information est nécessaire et nous espérons que le côté allemand pourra nous le donner. […]

S’agit-il de la presse nationale ou de la presse locale ? Christine Rolland, archiviste du Dauphiné Libéré (Grenoble), a fait une rapide recherche mais n’a rien trouvé. On peut imaginer qu’une manifestation importante aurait laissé des traces.

On peut donc en conclure que tout s’est effectivement réglé relativement vite et en douceur, entre Jacques Schweizer, le C.E., la Direction de l’ILL. Le Comité de Direction a transmis l’information au ministre allemand de la recherche qui a réagit rapidement. Une manifestation a bien eu lieu, ce qui est à l’honneur des participants, mais il semble bien exagéré de la qualifier de "massive".

Quel était l’état d’esprit à l’ILL à l’époque :

[Fr] affaire troublante.. pour le nouvel ILL ou on cherchait à gommer la vilaine Allemagne…
[Fr] Pourquoi diviser et irriter alors que l'ILL est une grande réussite scientifique, mais également de coopération franco-allemande (à ses débuts) et plus largement internationale maintenant ?

En d’autres termes, je dirais que tout le monde voulait que l’ILL et sa collaboration franco-allemande, puis franco-anglo-allemande soit un succès. Il n’est donc pas étonnant que l’affaire Greifeld ait été réglée vite et bien, car l’attitude générale était à la préservation, coûte que coûte, de l’incontestable bonne entente plurinationale qui s’était installée à l’ILL.

Bibliographie

http://www.stattweb.de/files/civil/Doku20130109.pdf
http://www.stattweb.de/files/civil/Doku20121231.pdf
http://www.stattweb.de/files/civil/Doku20130105.pdf
http://www.stattweb.de/files/civil/Doku20130109.pdf
http://www.stattweb.de/files/civil/Doku20130227.pdf
http://www.trueten.de/uploads/Texte/Tagungsmaterial1.pdf   pp:12-13
SILLC : Le SILLC (SA-ILL maintenant) était décrit ainsi par M. Hasenclever, chef de l’administration en 1973 :

Es musste eine institutseigene Gewerkschaft gegründet werden. Diese Möglichkeit besteht im französischem Recht, weil nur sie, neben anderen Funktionen natürlich, diese spezifisch deutschen Belange wahrnehmen kann.

C’était donc, et c'est toujours, un syndicat plurinational où, dès 1975, anglais, allemands et autres sont représentés.

Dernière mise à jour: 14 March 2016