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Contrôleurs de température

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Contrôleurs de température

Page préparée avec l'aide de Dominique Brochier, Paul Dagleish, Pierre Andant (retraités ILL), Eddy Lelièvre-Berna (ILL), Jacques Bossy (CNRS) et Jean-Louis Bret (retraité CNRS/CRTBT).

La thermométrie et le contrôleur de température associé sont indispensables à la cryogénie et aux fours. En effet, il est vital pour les expériences de mesurer la température en permanence avec une grande précision, de la réguler finement et de la maintenir stable sur de longues périodes. Et ce n'est pas simple !

Les rapports annuels de l'ILL montrent que le matériel industriel des années 70 s'est avéré très décevant. Une fois de plus, l'ILL a dû innover en créant son propre dispositif de mesure et de contrôle dont la réussite a beaucoup contribué au succès de l'environnement échantillon et à la qualité des expériences qui en dépendent.

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Les débuts

Régulateur AsGa MB4000 du CRTBT
Plaquette de l'ANVAR n° 4532
Une régulation analogique (diffractomètre D1B)
©1977 Institut Laue-Langevin

Pour la cryogénie, le rapport annuel de 1972 mentionne l'achat et la mise en fabrication de 3 régulations à diodes AsGa (1.5 T 300). Il s'agissait de régulations (familièrement appelées "régules CNRS") développées au CNRS/CRTBT par Jean-Louis Bret, Jean-Paul Faure et Gilles Pelletier en 1972 et commercialisées par la société MERIC [1]. Elles étaient basées sur de l'électronique analogique et dotées d'une thermométrie à diodes AsGa.
C'était ce qu'il y avait de mieux à l'époque et le seul concurrent était Lake Shore, le fournisseur actuel de l'ILL. Les régulations CNRS s'avérèrent difficiles d'utilisation pour les non-spécialistes. Dominique Brochier dit maintenant que le choix de cette thermométrie à diode a été une erreur.

Alain Filhol se souvient en effet que ces régulations étaient très capricieuses. Ah le fameux bouton "gain" dont personne ne savait quoi faire exactement et qui était pourtant essentiel ! Chacun avait sa recette.

Pour les fours, peu d'informations ont été retrouvées, excepté un message de Pierre Andant :

Je me souviens des régulations "Drush" à réglage de P.I.D manuel sortant du 0 à 5 volt continu et pilotant un ampli à courant continu destiné à saturer le circuit magnétique d'une self montée en série avec le transformateur de puissance et alimentant le four. Ce principe est toujours en application et a été préféré aux systèmes à triacs car, à l'époque, ils généraient des parasites pouvant interférer avec les détecteurs de neutrons.

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L'ILL se lance !

Le rapport annuel de 1977 marque la prise de conscience du fait que les contrôleurs de température de l'ILL n'étaient pas au niveau des besoins des scientifiques :

Une étude précise a montré que les utilisateurs consacrent un temps considérable aux changements de température. Il paraît de plus en plus nécessaire de pouvoir contrôler la température via l'ordinateur qui pilote l'instrument de façon à ce, qu'en fin de compte, la température ne soit plus qu'un paramètre comme les autres. En effet l'échantillon peut déjà être "positionné" de cette façon [6].

L'ILL décide alors de concevoir son propre contrôleur de température et de revoir complètement son approche de la thermométrie. Le rapport annuel de 1980 évoque, pour la première fois, un projet de régulation à microprocesseur et c'est une innovation majeure. L'objectif initial était de copier en technologie digitale ce qui se faisait en analogique. Dominique Brochier dit de ce projet :

Le contrôleur, je l'ai développé avec un informaticien [Paul Dagleish]. J'ai dit “Ecoute, on simule un contrôleur analogique en technique digitale, il faut qu’il pédale à... je ne sais pas... un dixième de seconde". Ça commençait juste à pouvoir se faire mais, personnellement, je ne connaissais pas ces techniques. J’ai donné l’axe, la direction à suivre.

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PTC, le 1er contrôleur à microprocesseur

Paul Dagleish en 2014
La régulation PTC développée par Dagleish
©1984, ILL
Un rack cryogénique complet construit par la société Duhamel. Le PTC est en bas.
©ILL Eddy Lelièvre-Berna
Les contrôles de niveau d'azote liquide et d'hélium liquide
©ILL, Eddy Lelièvre-Berna

La régulation à microprocesseur c'est donc Paul Dagleish qui a eu la lourde tâche de la conception et de la programmation du prototype.

A cette époque les régulations industrielles sont encore analogiques et non programmables. De ce fait, pour un simple changement de température, un scientifique doit venir sur place, même en pleine nuit ou durant le week-end. C'est extrêmement contraignant et peu compatible avec le rythme rapide des expériences à l'ILL.

Les objectifs visés étaient donc ambitieux pour l'époque :

  • dispositif autonome pouvant être contrôlé par l'ordinateur de l’instrument,
  • programmation automatique de la température,
  • gestion de la thermométrie par diode déjà utilisée à l'ILL, mais surtout par résistance de platine ou de carbone (plus performante), et de tous les types de thermocouples,

mais ils seront pleinement atteints. Les nouveaux contrôleurs sont en test dès 1984 Paul Dagleish les baptise PTC (Precision Temperature Controller). En 1985 l'ILL clame :

It is now possible for an experimentalist to verify and change temperature from home.” et cela se faisait via le célébre Minitel dont la commercialisation avait débuté en 1982. L'ILL était donc à la pointe du progrès !

Les PTC sont un véritable succès et ils ont très vite été réclamés par d'autres laboratoires. Dès 1988, ils sont produits sous licence ILL par ASL (Automatic Systems Laboratories Ltd) en Angleterre, puis par la société Duhamel Automatisme.

Paul Dagleish écrit à ce propos [2] :

Le premier contrôleur automatique de température a été conçu et programmé par moi.
Je l'ai baptisé PTC (Precision Temperature Controller). C'était le premier contrôleur de température piloté en totalité par un microprocesseur, le Motorola MC6809 qui disposait d'un bus 8-bits et de registres internes 16-bits. Le programme de contrôle comportait une simple boucle qui auscultait en permanence 4 canaux de mesure [3], affichait les valeurs des températures, et calculait la puissance de chauffe appropriée via un algorithme PID (Proportionnel-Intégral-Dérivé) afin d'atteindre et de maintenir la température de consigne. Cette boucle communiquait avec l'ordinateur du spectromètre via un port série RS232 [NDT: le lointain ancêtre des ports Ethernet ou Lightning des ordinateurs modernes.]
L'introduction de la calibration individuelle des thermomètres pour chaque cryostat a été un énorme pas en avant pour la réduction des erreurs de température. Ceci a été possible grâce à des modules de calibration enfichables simples. L'EPROM de chacun d'eux contenait deux tables calibrations (thermomètre de platine et
thermomètre de carbone) et le PID optimum pour chaque cryostat. Autrement dit, pour la 1ère fois à l'ILL, on pouvait obtenir la température échantillon souhaitée sans intervention humaine.
J'ai alors passé un certain temps à visiter des fabricants européens potentiels et j'ai finalement choisi ASL (Automatic Systems Laboratories Ltd) en Angleterre [...] qui était au top en matière de mesure de température par résistance grâce au pont automatique inventé par son PDG Peter C.F. Wolfendale.

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ILLSEC, la version 2 du contrôleur de température

Le rapport annuel de 1988 fait état de la conception et du développement d’un nouveau contrôleur de température ILLSEC (ILL Sample Environment Controller) [4]. C'était une version améliorée du PTC et Paul Dagleish en dit ceci [5] :

Il a aussi été développé par moi avec l’aide du “gone lyonnais” Guy Drevetton. Il avait une bien meilleure électronique et un OS (système opérationnel) approprié, l’OS9 de Microware Systems Corporation tournant sur microprocesseur MC68032 32-bits. Chaque canal de mesure avait son propre microprocesseur 16-bit pour une mesure de température bien plus rapide et précise. Chaque ILLSEC contenait l’ensemble complet des paramètres de calibration et de contrôle des appareils de l’ILL. Chaque dispositif d’environnement échantillon (cryostat, cryofour, etc.) était doté d’un système qui transmettait à l’ILLSEC son identifiant unique ce qui réduisait les risques d’erreur de calibration, chose qui arrivait parfois avec les PTC lorsqu’on se trompait de module de calibration.
L'ILLSEC a été construit par la société Duhamel Automatisme à Domène
.

Eddy Lelièvre-Berna précise que c'était une réussite et qu'une partie des caractéristiques de l'ILLSEC restent inégalées par les régulations industrielles modernes.

L'ILLSEC pouvait stocker plus de 100 courbes de calibration alors que les célèbres régulateurs LakeShore 340 sont limités à 40. L'ILLSEC délivrait plus de 110 W sur 50 Ohms alors que les mêmes LakeShore bloquent à 50 W. L'ILLSEC était aussi capable de réguler la température à partir de 2 thermomètres couvrant des plages différentes, ce qui est encore impossible en 2015 avec les systèmes du commerce.

Deux ILLSEC sont toujours en service au laboratoire de cryogénie de l'ILL et personne n'ose les éteindre de peur qu'elles ne se rallument plus.

Xavier Tonon et une ILLSEC dont il est toujours utilisateur
©2015 ILL, A.Filhol
Vue d'ensemble
de l'équipement cryogénique géré par une ILLSEC
©2015 ILL, A.Filhol
Une ILLSEC en marche En 2015, deux étaient encore opérationnelles à l'ILL
©2015 ILL, A.Filhol
Le fabricant des ILLSEC

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L’informatique du succès

John Allibon ...
... et son outil de travail préféré, le terminal DEC VT100
©20111 Mark Wickens youtube.com

Un apport essentiel du contrôleur ILLPTC était de pouvoir être piloté par l’instrument. Autrement dit, le scientifique pouvait enfin définir à l’avance une série d’actions, changements de température compris, que l’instrument effectuait ensuite en son absence. Enfin des nuits et des week-ends tranquilles !
Encore fallait-il adapter le programme de contrôle des spectromètres (MAD) et c’est John Allibon qui s’en est chargé en créant DTI (Digital Temperature Interface). L’ordinateur de l’instrument peut alors demander une température, attendre qu’elle se stabilise, effectuer des rampes de montée ou de descente contrôlées (“Cramps” en jargon ILL), et cela en même temps ou entre deux mesures, etc. A ceci s’ajoutait une innovation : un algorithme de PID (correcteur proportionnel, intégrateur, dérivateur) externe à celui de l’ILLPTC permettant d’ajuster la consigne du contrôleur afin d’amener l’échantillon le plus rapidement possible à la température souhaitée. L’utilisateur dispose enfin d’un suivi informatisé de la température et des niveaux des fluides cryogéniques, ce qui a marqué la fin des enregistreurs à plume trop souvent en panne d’encre ou de papier. 

Le DTI, d’abord développé pour ordinateur PDP11, a ensuite migré sur VAX-VMS, Unix puis Linux, au gré de l’évolution du contrôle des instruments de l’ILL. Le triptique ILLPTC - MAD - DTI a été un succès et a donc été réclamé par divers laboratoires : University of Århus (DK), University of Helsinki (Fi), Risø (DK), HMI (Berlin), etc.

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De nos jours

Quinze ans après, les technologies ayant changé, il aurait fallu re-développer un contrôleur en totalité. L'ILL a alors choisi d'utiliser des régulations industrielles Lake Shore.
A l'image de ce qui se faisait pour les ILLSEC, il était prévu de leur adjoindre un système de reconnaissance automatique des dispositifs qui s'y connectent. Un prototype a donc été développé par le SANE mais, faute de personnel, ce projet n'a jamais été achevé, au grand regret des scientifiques.

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Références

1- Société Meric, 22 bd Jean-Jaurès, 91290 Arpajon. Elle est citée dans le dossier ANVAR 4532.
2- Texte original du message de Paul Dagleish (3 nov. 2015)
3- Pour garantir une bonne mesure et un bon contrôle de la température de l'échantillon, un seul point de mesure ne suffit pas. Le contrôleur doit donc gérer simultanément plusieurs sondes réparties dans le cryostat.
4- ILLSEC Handbook, Paul Dagleish, 18 août 1997.
5- Texte original du message de Paul Dagleish (3 nov. 2015)
6- Texte original de l'extrait du rapport annuel de 1977

A precise study has shown that a considerable time was devoted by the experimenters to changes of temperature. It seems more and more necessary to be able to control the temperature by means of the computer operating the instrument, so that in the end temperature will be a parameter like the others, for the sample can be "positioned" in the same way.

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Dernière mise à jour: 22 June 2017