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Herma, dresseuse de chats

Une carrière plurinationale de dresseuse de chats

Par Herma Büttner (Blank) - octobre 2021
Mise en web par A. Filhol - mars 2022

Here an English version of the following testimony.

Souvenirs, souvenirs ...

Le bureau de Herma en 1985
Archives Herma

Ça fait maintenant plus que 20 ans que j'ai quitté l'ILL et, pour moi, cela aura été le meilleur lieu de travail et celui où je suis restée le plus longtemps, soit une quinzaine d’année. J’en ai un très bon souvenir, non seulement de sa vie scientifique mais aussi de ses aspects sociaux avec les "pots" et les activités du Comité d'Entreprise. L'environnement multiculturel était un vrai plus même si, en dehors de l'ILL, il y a eu des malentendus et des frustrations avec le français et l'administration française. Certes, ce fut un appentissage assez rude, mais très excitant et cela a transformé ma vie.

Je dois avouer que j'ai détesté mes six premiers mois à l'ILL. Je suppose que c'était parce que tout était si différent de l’Allemagne d’où je venais et je me sentais vulnérable. Cependant, après cette période d'intégration, je l'ai adoré et j'en ai embrassé tous les aspects, y compris la vie à la française; cela m'a donné le goût du changement, de la recherche de nouveaux défis et de l'aventure dans de nouveaux environnements.

Qu'est-ce qui a rendu mon passage à l'ILL intéressant ? Je pense que c'était la liberté d'explorer de nouvelles voies, d'apprendre de multiples aspects de la recherche dans différents domaines, de découvrir de nouvelles techniques, de travailler avec des personnes d'origines culturelles et de niveaux hiérarchiques différents.

Ma période grenobloise

Les Atomiades de 1990 et l'équipe ILL de balai-ballon
1er plan: Laroumagne, Mollier; 2ème plan: Pratt, Herma, Gangi, Kearley
© archives Herma
Un petit clin d'oeil pour Michel Mollier (le président de l'ARILL) en souvenir du but qu'il a failli marquer. Pas de blessé !
© archives Herma

Lorsqu'en août 1984 j'ai commencé mon contrat de cinq ans à l'ILL sur le spectromètre à temps-de-vol IN5, je me suis sentie complètement désorientée car, cristallographe de formation, je n'étais pas préparée aux mesures en temps-de-vol; en outre, je ne savais presque rien du français et j'avais à faire face à une nouvelle vie culturelle, administrative et sociale. Mais au bout d'un an, j'ai beaucoup aimé l'ambiance dans toute sa diversité, et j’ai relevé le défi de participer à la coupe de ski de l'ILL et de jouer au balai-ballon aux atomiades.

Mon passage à la coordination scientifique (un emploi permanent) m'a ouvert les yeux sur le monde de la gestion de la recherche. Bernard Maier, le chef d'alors, m'a beaucoup appris avant de prendre sa retraite ; Diana Dijoux et Katja Mayer-Jenkins m'ont soutenue pendant toutes ces années et nous sommes toujours amies par delà les continents. Alan Leadbetter, directeur scientifique, a été un excellent mentor pour moi. Et finalement j'ai rencontré mon mari, Don Kearley, quand nous travaillions tous les deux sur IN5.

Ma période à l'ILL a coïncidé avec la progression rapide de la numérisation, tant au niveau instrumental que pour les outils de gestion utilisant des bases de données.

L'instrument IN5

J'ai vécu quelques évolutions marquantes de cet instruments que j'ai plaisir à évoquer ici :

  • le remplacement des choppers à roulements à billes par des choppers à paliers magnétiques
  • le remplissage du banc de détecteurs, y compris dans la zone des petits angles (cf. photos).
  • L'introduction, en début de manip, d'un contrôle automatisé des paramètres de longueur d'onde et de temps de vol a réduit les erreurs dans la collecte de données et a également libéré du temps pour notre propre recherche. L'introduction du contrôle à distance de la température des cryostats a été un énorme progrès à l'époque mais c'est bien banal aujourd’hui.
  • L'un des problèmes d'IN5 était l'acquisition et le stockage d'un volume de données bien plus grand que pour les autres instruments. Donc, à la fin des années 80, nous avons demandé un Winchester ce qui a provoqué un véritable tumulte, lors d'une des réunions de groupe, car la moitié des présents a pensé qu'il s'agissait d'une carabine. Il est probable qu'aujourd’hui moins de gens encore savent qu'il s'agissait d'une technologie de disques d'ordinateur amovibles et à haute capacité de stockage pour l'époque … environ 100 MB ! Nous avons réussi à obtenir quelques disques, mais il semble complètement hilarant de nos jours de discuter d'une telle quantité de stockage comme d'un problème sérieux.
Le radar du IN5 des débuts ne comportait qu'un petit nombre de détecteurs qu'il fallait déplacer à chaque mesure
©1976 ILL
Le détecteur petits-angles de IN5 peu avant son installation
© archives Herma
En 1989, le radar de IN5 est enfin couvert de détecteurs y compris dans la zone des petits angles non visible sur cette photo
© archives Herma
Un disque amovible Winchester
© IBM
Le premier YellowBook dont j'ai été l'éditrice

La coordination scientifique

Le plus grand défi aura été l'introduction d'une base de données exhaustive, ce qui était nécessaire pour grouper le système des propositions d'expériences, le programme d’utilisateurs, la planification des manips, la collecte des rapports expérimentaux et autres. En outre, les données devaient être échangées entre les départements pour que les frais de voyage et d'hébergement des utilisateurs et des membres des sous-comités soient remboursés .

Le plus difficile dans ce travail n'aura pas été d'organiser les sous-comités, comme vous pouvez l'imaginer, mais d'obtenir des responsables d’instrument leur calendrier de manips afin d'envoyer à temps les invitations aux utilisateurs. Du point de vue de la gestion de la recherche, j'ai ainsi réalisé que travailler avec des scientifiques c'est comme vouloir dresser des chats, mais ce qui m'a beaucoup aidée c'est d'avoir été responsable d'instrument auparavant et d'avoir continué à être occasionnellement local contact. Le plus souvent je réussissais à "extirper" l’information sans trop de problème, mais je n'ai pas non plus hésité à traquer les gens dans leurs différentes "cachettes" (cabines d'instruments, laboratoires, etc.) ou bien à la cafétéria et à la cantine.

Mon attitude était de voir les gens directement et d'essayer de rendre les aspects administratifs aussi facilement accessibles que possible. C'est pour cela que, à l'ILL, nous avons été parmi les premiers à introduire des propositions web et à utiliser des listes de courriels pour diffuser l'information. Je me souviens très bien d'avoir assisté à la première conférence mondiale sur le Web au CERN en 1994. En effet, c'était à l'époque où j'ai travaillé à l'ESRF durant 18 mois, pendant le long arrêt de l'ILL. Le synchrotron démarrait et il fallait mettre en place son programme utilisateur et rédiger le premier livre sur les lignes de lumière, le "livre rouge", un équivalent du "livre jaune" de l'ILL.

Les numéros précédents ont eu Berndt Maïer, puis Bruno Dorner, comme éditeurs

Retour à l'ILL

Je suis revenue à l'ILL avec plein d'idées nouvelles et des responsabilités accrues en devenant responsable du support scientifique et de la communication externe. La collaboration avec l'ESRF s'est poursuivie un temps mais, malheureusement, pour des raisons de politique institutionnelle, le projet d'une gestion commune des utilisateurs n'a pas abouti.

Le rapport annuel de l'ILL a été transformé en un format plus petit et plus scientifique, un nouveau logo a été introduit et nous avons lancé un programme de communication scientifique. J'ai toujours aimé organiser des workshops scientifiques et j'ai apprécié que cela ait été ma dernière activité avant de quitter l'ILL en 2000 pour les Pays-Bas.

Les scientifiques ILL ont longtemps été presque exclusivement masculins aussi mon féminisme m’a amené à créer un groupe de soutien nommé LIS (Ladies in Science) dont la fleur homophone était le symbole. Jane Brown, l’une des toutes premières femmes scientifiques de l'ILL, m’a bien soutenue. Les choses ont progressé depuis avec 30% de femmes responsables ou co-responsable d’instruments en 2022.

Les Pays-Bas

En déménageant aux Pays-Bas, j'ai laissé les neutrons derrière moi et j'ai embrassé la gestion de la recherche en devenant la secrétaire générale d'une alliance universitaire, l'IDEA League, comprenant alors l'Imperial College London, TU Delft, ETH Zürich et RWTH Aachen.
Mon expérience multiculturelle à l'ILL aura été un grand atout pour ce travail.

L'Australie

Le 1er volune dont j'ai été l'éditrice.
Archives Herma

En 2006, je suis finalement revenue aux neutrons dans mon dernier lieu de travail, l'Australian Nuclear Science and Technology Organisation (ANSTO) à Sydney. Il existe des similitudes avec l'ILL, mais il s'agit d'une institution gouvernementale plutôt bureaucratique et peu disposée à prendre des risques.

A ANSTO je me suis impliquée dans des activités de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) concernant l'enseignement nucléaire dans la région asiatique. Naïvement, je pensais avoir une assez bonne connaissance du multiculturalisme mais j'ai vite appris que les cultures asiatiques sont beaucoup plus variées que celles des pays européens qui, eux au moins, utilisent les mêmes caractères pour l'écriture. Néanmoins, ça m’a plu de découvrir de nouvelles cultures, j'ai été attentive aux malentendus avec mon "Euro-anglais"et j’ai été bien acceptée.

Lorsque je suis devenue rédactrice de Neutron News, mes relations ILL de l'époque, combinées à mes relations asiatiques récemment acquises, ont été un énorme avantage pour amener les gens à écrire des contributions pour ce magazine.

En guise de conclusion

Aujourd'hui, après 15 années en Australie, 7 années aux Pays-Bas et 3 années à la retraite, je trouve toujours que mes années à l'ILL et en France ont été la partie la plus excitante, la plus transformatrice et la plus agréable de ma vie. Avec la prolongation de l'ILL de 10 années de plus, je lui souhaite bonne chance. J'espère que beaucoup de gens apprécieront son atmosphère particulière et y vivront un temps merveilleux comme moi.

Herma et Don profitent de leur retraite australienne
©2022 Herma
Un salut de Herma et Don
©2021 Herma
Dernière mise à jour: 24 March 2022