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Hommage à Siloé (2013)

Le réacteur de recherche Siloé

par A. Filhol avec les témoignages de Louis-Pierre Regnault, Edouard Roudaut, Jacques Schweizer et Francis Tasset.
Lire aussi la page "Documents et souvenirs d'Edouard Roudaut".

Siloé était un réacteur nucléaire de recherche, de type pile piscine à cœur ouvert d'une puissance thermique de 35 mégawatts. Il avait été construit sur le polygone scientifique de Grenoble et était entré en divergence en 1963, soit 8 ans avant le réacteur à haut flux (RHF) de l'ILL.

Contrairement au RHF - réacteur piscine à eau lourde conçu pour produire des faisceaux de neutrons - Siloé était un réacteur piscine à eau légère construit pour l'irradiation des matériaux et des dispositifs. Si un équipement de neutronique lui avait finalement été ajouté, ce fut sous l'impulsion de Félix Bertaut, soutenu par Louis Néel.

Siloé s'est donc vu doté de canaux de sortie des neutrons ne regardant pas directement le coeur, mais un mur de Be qui jouxtait l'un des quatre côtés du coeur. Au début, il y avait seulement deux canaux radiaux et deux appareils (DN1 et DN3). Après la fermeture de Mélusine (1988), un canal tangentiel a été ajouté qui regardait le mur de Be par la tranche. Le parc d'instruments est alors monté à six avec deux appareils par canal. Francis Tasset note que, pour les scientifiques, l'environnement de travail était moins confortable qu'à Mélusine "Il faisait horriblement chaud à Siloé et on était obligé de travailler nus sous la blouse blanche. L'espace était très restreint car Siloé n'avait pas été initialement conçu pour une utilisation scientifique." Pour en savoir plus, consultez cette page qui compile des documents fournis par Edouard Roudaut.

Siloé a ainsi pu rendre d'énormes services et a permis de former des scientifiques, notamment en diffraction de poudres et de monocristaux, ainsi qu'en diffraction des neutrons polarisés.
Jean Rossat-Mignod (décédé) était le moteur du succés des recherches entreprises entre 1970 et 1990. La Société Française de Neutronique honore chaque année sa mémoire par ses "Journées Rossat-Mignod".

La présence de Siloé sur le polygone scientifique, avec Mélusine (8 MWth, 1958) et Siloëtte (100 kWth, 1963), ont été l'une des justifications données à l'époque pour l'implantation du RHF de l'ILL à Grenoble.

Vue d'ensemble de Siloé
Archives CEA, ©CEA/Pierre Jahan - J789
Le coeur de Siloé
Archives CEA, ©CEA/Pierre Jahan - J1999
La piscine de Siloe en 1969 et la lumière bleue caractéristique de l'effet Cerenkov
CEA - Paul Noël
Jean Rossat-Mignod photographié en 1979 sur IN12
Archives Louis-Pierre Regnault

Dès le démarrage de l'ILL (1971-1972) les liens avec les équipes de Siloé et Mélusine ont été étroits. Des physiciens et ingénieurs comme Paul Ageron & J.P. Martin (conception du RHF), Edouard Roudaut (les débuts de D1A, D1B, D2 et D8), Paul Burlet (diffractomètre de poudres D2, diffractomètre D15), Jacques Schweizer (construction de D5) rejoint ensuite par Jean Xavier Boucherle et Michel Bonnet (neutrons polarisés), Pierre Convert (construction de D1B et, surtout, d'un multidétecteur "banane" dérivé de celui de Siloé), Jean Buevoz (responsable D1B), Louis-Pierre Regnault (DN1 transformé en CRG IN22), Jens-Boie Suck (venu de Karlsruhe installer DN6 à Mélusine avant de rejoindre l'ILL), Jacques Bossy (IN8), Eric Ressourche (DN2 transformé en CRG D23), Frédéric Bourdarot (responsable du CRG D15 puis du CRG IN22), etc., ont apporté une expérience de la neutronique que les jeunes équipes de l'ILL n'avaient pas encore ou ont donné à l'ILL des responsables d'instruments déjà bien formés à la neutronique.

Parmi les transfuges citons encore Hervé Guyon (ex-directeur de Siloé et actuel chef de la division réacteur de l'ILL), Bruno Desbrières (ex-SPR à Siloe et actuel adjoint de Hervé), Véronique Caillot (adjointe de Desbrières), des chefs de quart comme Pascal Chirol, des mécanos et électriciens de quart comme Jean Pierre Chaix, Christian Puygrenier et Jean Claude Cornier, et des membres du Service Radioprotection Sécurité Environnement comme Nicolas Marcodini. Parmi les anciens citons Jules Léon (ex-chef de quart à Siloé et ex-chef d'exploitation du réacteur et chef du gardiennage de l'ILL), Raoul Mathieu (ex-radioprotection à Siloé et ex-chef du SPR, puis de EDEX, à l'ILL) et Michel Jacquemain (ex-chef du réacteur de Siloé et ex-chef de la DPT à l'ILL), Jean-Pierre Rotini (ex-chef de quart) Magnan Jos (mécano circuits et chef de quart), Pierre Vallet (mécano bloc pile), Michel Fortune (quart), Claude Dessignolles (opérateur cellule chaude à Siloé puis à l'ILL) et bien sûr notre président Auguste Morizur (service mécanique de Siloé, puis du réacteur de l'ILL).

N'hésitez pas à nous contacter pour corriger/compléter cette liste.

Un rapport de 1985 [1] explique que Siloé avait encore une bonne marge de progression à cette époque mais, comme le raconte Edouard Roudaut, le CEA et les politiques en ont décidé autrement :

Ce projet, préparé en accord avec M. Martel, le directeur de Siloé de l’époque, prévoyait la mise en place d’une source froide en liaison avec le service de basses températures du CENG, deux guides de neutrons pour sortir les faisceaux du hall du réacteur et des expériences copiant l’ILL, plus un nouveau multidétecteur à 1600 cellules en accord avec le Léti. Cela aurait permis à Siloé, déjà classé meilleur réacteur au niveau mondial dans le domaine de la diffraction en dehors de l’ILL, de devenir un petit ILL. Malheureusement, il n’a pas reçu d’appui du directeur du département (J. Chappert) car, pour lui, l’ESRF était l’avenir. Après l’arrêt de Mélusine, les écologistes, soutenus par la mairie de Grenoble, ont fait pression pour que Siloé soit arrêté sous le prétexte que c'était un danger pour la ville. C'était faux mais Siloé a donc été arrêté en 1997 sans autre raison valable que des raisons politiques.

Vu le travail remarquable qui avait déjà été produit par les scientifiques de Siloé, son arrêt prématuré a incontestablement été une grosse perte, à la fois pour la renommée scientifique de Grenoble et pour la neutronique française dans son ensemble. En effet, un instrument puissant comme l'ILL a besoin de s'appuyer sur des installations moins puissantes pour le défrichage de thématiques nouvelles et la préparation d'expériences ambitieuses.

Le démantèlement de Siloé a débuté en 2001 et a été achevé en 2013. Ce chantier est décrit dans une vidéo du CEA.

Référence
1- "Siloé, un réacteur compétitif pour la production de faisceaux de neutrons", J. Rossat-Mignod, E. Roudaut, J. Schweizer, DRF/Sph-MDN/85-179, décembre 1985

Les instruments scientifiques de Siloé

Vu la place restreinte disponible dans le hall de Siloé et l'absence de guides de neutrons, le parc d'instruments de Siloé n'a pas dépassé six.

DN1 : spectromètre à trois axes installé en 1984 par Louis-Pierre Regnault. Il deviendra ensuite la base du spectromètre IN22 de l'ILL.
DN2 : diffractomètre à neutrons polarisés à bras levant installé par Alain Delapalme (1962) et Jacques Schweizer à Mélusine, puis à Siloé. Jacques Schweizer note que cette géométrie originale a d'abord suscité des doutes, voire des sarcasmes, puis a montré son utilité et a fait beaucoup de petits.
DN3 : diffractomètre 2 axes à bras levant, à neutrons non polarisés, de Paul Burlet. Ce dernier construira ensuite le diffractomètre de poudres D2 à l'ILL avec Edouard Roudaut.
DN4 : diffractomètre de poudres à multicompteur 400 voies développé par Edouard Roudaut. En 1982-83, Gernot Heger et Peter Schweiss ont installé à la place un diffractomètre 4-cercles à monocristaux en provenance de Karlsruhe. Jean Xavier Boucherle et Michel Bonnet ont également travaillé sur cet instrument.
DN5 : diffractomètre de poudre à multidétecteur, le premier au monde, conçu par Edouard Roudaut. Sa déclinaison ILL aura été D1B, également développé par Edouard Roudaut puis par Pierre Convert. Le succès de son détecteur "banane" (récemment modernisé) conduira ensuite au développement de D20.
DN6 : spectromètre temps de vol développé à Kalrsruhe par B. Renker puis installé à Siloé par Helmut Schober. Ce dernier viendra ensuite à l'ILL où il sera responsable de IN6, puis directeur scientifique.

Voici quelques photos de ces instruments.

DN1
Photo Artechnique, nov. 1991
DN3
Photo Artechnique, nov. 1991
DN6
Photo Artechnique, nov. 1991
De gauche à droite: John Allibon, Louis-Pierre Regnault, Jean Olivier, Jean-Louis Soubeyroux, Eric Ressouche.
Photo Artechnique, nov. 1991
DN2
Photo Artechnique, nov. 1991
 

La construction de Siloé

Lire aussi la page Documents et souvenirs d'Edouard Roudaut.

De nombreuses informations sont également disponibles dans le livre de Yves Ballu, "De Mélusine à Minatec 1956-2006 : 50 Ans d'histoires du CENG devenu CEA Grenoble", Éditions du Dauphiné Libéré, 2003.

Dernière mise à jour: 14 October 2021