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[50 ans] Service mécanique

50 ans après - 2 anecdotes sur le Service mécanique de l'ILL

par A. Filhol, 2021

Je suis arrivé à l'ILL fin 1971 comme thésard, le hall du réacteur était encore presque vide. Voici mes premiers contacts avec le service mécanique en espérant que mes souvenirs soient exacts.

Le diffractomètre D8

Diffractomètre 4-cercles Hilger & Watts pour les rayons X.
Son berceau d'Euler était de faible diamètre avec un codage par franges de moiré.
http://www-xray.fzu.cz/xraygroup/www/HW.html
Michel Thomas et Alain Filhol, fiers de D8 construit avec Michel Mourrat
©1973 Denis Green

Début 1972, jeune thésard arrivé depuis peu à l'ILL, je croise Bernard Jacrot (premier directeur adjoint français) dans le couloir de ILL1 qui me dit :
- Ah Filhol ! Je n'ai personne pour construire l'instrument D8. Voulez-vous vous en occuper ?
Sans trop savoir ce qu'est D8, me voici soudain responsable d'instrument.
Il fallait installer sur le canal H11 un diffractomètre 4-cercles Hilger & Watts donné à l'ILL par Harwell. Avec Roland Taffut, nous avons passé des journées à tenter de réconciler la vieille électronique anglaise à germanium avec l'électronique à silicium de l'ILL. Peine perdue, il y eut beaucoup de transistors décédés de part et d'autre.

En réunion de projet, j'explique que ce diffractomètre à rayons X, modifié pour les neutrons, a une mécanique trop fragile et mal adaptée aux besoins de l'ILL. Guy Gobert improvise alors au tableau le schéma d'un nouveau D8 :
- ... j'ai un plateau omega en stock, j'ajoute un berceau d'Euler de 50 cm M.A.N. et...
En 15 minutes l'affaire était pliée et les directeurs avaient donné leur accord. Voilà qui doit faire rêver les responsables d'instrument actuels ! Sans cette belle improvisation, D8 n'aurait jamais pu devenir le premier 4-cercles au monde à travailler à 9 K puis à 0,5 GPa, et cela sans angle mort.

Le Tanzboden

Guy Gobert (à droite) fait la démonstration des coussins d'air lors de la Porte ouverte de 1979
©1979 ILL
Varano (à gauche) au travail sur un Tanzboden de l'ILL vers 1976
©1976 ILL, Guy Gobert

Le Tanzboden a beaucoup fait pour la réputation des spectromètres de l'ILL et sa genèse mérite d'être contée.

Pour les instruments de l'ILL, il est vite apparu que le haut flux de neutrons du RHF imposait des protections bien plus lourdes et volumineuses que celles des autres centres de neutronique. De ce fait, la conception classique (rotation sur rail au sol avec bras superposés) donnait des spectromètres bien trop massifs (IN1, D3, etc.) et contraints dans leurs déplacements.

Guy Gobert, ingénieur mécanicien formé chez Jean Bertin le pionnier des véhicules sur coussins d'air, a milité pour que la technique des coussins d'air déjà expérimentée par Brian Haywood à Harwell en 1968/69 (spectromètre 3-axes Pluto) soit utilisée à l'ILL.
La direction se méfiait de cette idée bizarre de spectromètres modulaires sur coussins d'air. Guy Gobert et Maurice Dalle construisirent donc un prototype comportant trois patins alimentés par une bouteille d'air comprimé standard. Il fallait une surface de marbre pour l'essayer, ce fut celle du hall de la cantine H2. Ils montrèrent qu'on pouvait ainsi déplacer du bout du doigt une tonne de plomb. Maier-Liebnitz (premier directeur) et Jacrot, impressionnés, donnèrent leur accord.

Le Tanzboden requiert une surface de déplacement rectifiée à 20 microns près qui a été le fruit de nombreux essais. Harwell avait choisi la fonte (peu satisfaisante), l'ILL et d'autres essayèrent divers marbres, granites ou polymères. Selon Gobert seule la pierre de Hauteville combinait rugosité, souplesse et coût raisonnable [1].

Bien entendu aucun marbrier de l'époque ne savait faire et G. Gobert fit appel à son voisin, Bernard Varano, un jeune ouvrier italien récemment immigré. Celui-ci apprit donc sur le tas l'utilisation d'un théodolite, la notion de barres d'erreur et la métrologie d'une surface. On le vit bientôt discuter âprement avec les physiciens de problèmes techniques pointus, peaufiner ses techniques de polissage et de mesure, puis exporter son exceptionnel savoir faire partout dans le monde. Une bien jolie carrière de marbrier en vérité !

[1] "Système de transport sur coussins d'air", 1991, rapport interne 91GO28T.

Dernière mise à jour: 14 June 2022