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Cristallographie (2014)

2014 - Année Internationale de la Cristallographie

par Christian Vettier

Pourquoi célébrons-nous les 100 ans de la cristallographie ?

L’année 2014 a été décrétée Année Internationale de la Cristallographie par l’assemblée générale des Nations Unies pour commémorer la naissance de cette science un peu mystérieuse mais si importante qu’est la cristallographie. L’UNESCO, l’Association Internationale de Cristallographie ainsi que les associations nationales de cristallographes organisent des nombreux évènements liés aux développements de la cristallographie. Pourquoi une telle célébration ?

Parce que cette science a permis d’observer les arrangements atomiques et moléculaires dans les matériaux, de mieux comprendre leurs propriétés et comportements.
Parce que une telle compréhension permet une conception optimisée de nouveaux matériaux plus efficaces, plus économiques et mieux adaptés.
Parce que les progrès en méthode de santé dépendent beaucoup de nos connaissances de la conformation des virus et des biomolécules qui peuvent les combattre.
Parce qu’enfin, il est urgent de rapprocher les populations et les sciences expérimentales et de maintenir l’attrait de la science en général auprès du public.

Croissance de cristaux d’Hélium à très basse température
Crédit S.Balibar et al.
Cristaux géants de gypse dans la mine de Naica, Chihuahua, Mexique.
Crédit Proyecto Naica
Cristaux de protéines
Crédit Pearls necklace
Cristaux de ribosomes, un système biologique très complexe
Crédit Hampton research

L'aspect extérieur de cristaux de matériaux très très simples (par ex. le gaz rare hélium qui comporte un seul atome) ou très compliqués (par ex. le ribosome qui comporte plusieurs millions d'atomes) se ressemblent. C'est le mérite de la cristallographie de nous révéler la structure de leur contenu.

Un peu d’histoire

La cristallographie, science de la matière cristallisée, a démarré très tôt dans l’histoire des sciences. Les qualités de symétrie des cristaux naturels ont fasciné les observateurs depuis longtemps : les cristaux de roche (gypse), décrits par Pline l’Ancien (23-79) étaient utilisés par les riches romains comme vitrages. Les propriétés des cristaux, observables à l’œil nu, ont été mises sous forme de construction mathématique au cours des siècles. A Prague en 1611, Johannes Képler a sans doute été le premier à proposer un empilement de sphères pour expliquer la symétrie apparente des flocons de glace et de neige. Nicolas Steno (Niels Stensen en danois) montra en 1693 que les angles entre les faces des cristaux ne dépendaient que de la nature et de la symétrie des cristaux. A Paris en 1784, l’abbé René Just Haüy mit en évidence l’origine géométrique des facettes des cristaux. Ces travaux créèrent les bases de la classification des cristaux ; ils furent suivis au cours du 19˚ siècle d’autres recherches qui établirent les fondements mathématiques de la cristallographie. Mais à l’époque, il n’y avait pas de moyen de ‘voir’ les détails des arrangements qui sont à l’origine de la formation des cristaux. Avec un microscope, en utilisant la lumière visible à l’œil humain, on peut observer les détails d’un cheveu car les longueurs d’onde de la lumière visible sont à peu près 50 fois plus courtes que le diamètre d’un cheveu. Par contre, pour résoudre des molécules qui sont à peu près dix mille fois plus petites, il faut des longueurs d’onde dix mille fois plus courtes, en dessous du nanomètre (un milliardième de mètre). Tout était prêt conceptuellement pour comprendre et utiliser la cristallographie, seul manquait un outil expérimental.

Mesure des angles entre les faces d’un cristal
Crédit Palaminerals.com
Modèle en bois de poirier par l’abbé R.J. Haüy d’un cristal rhomboédrique
Crédit Teylers Museum
La symétrie hexagonale d’un flocon de neige provient de la symétrie des cristaux de glace
Crédit Physique de tous les jours

C’est alors qu’interviennent deux découvertes majeures. Tout d’abord à Würzburg en 1895, Wilhelm Conrad Röntgen découvrit un nouveau type de rayonnement, les rayons X, et il reçut pour cela le premier prix Nobel de physique en 1901. Puis en 1912 à Munich, Max von Laue, Paul Knipping et Walter Friedrich montrèrent que les rayons X étaient diffusés par des cristaux dans des directions particulières qui ne dépendent que de la symétrie et de la nature des cristaux (il s’agissait là de la diffraction des rayons X, phénomène pour lequel Laue reçut le prix Nobel de physique en 1914). Ces phénomènes de diffraction démontraient que les rayons X se comportaient comme des ondes électromagnétiques avec des longueurs d’onde de l’ordre des distances interatomiques dans la matière : les rayons X ont des propriétés identiques à celle de la lumière visible, mais avec des longueurs d’onde très courtes de l’ordre du dixième du nanomètre (un nanomètre est un milliardième de mètre).

Il s’agissait du premier pas vers l’étude des arrangements périodiques qui créent les structures cristallines. Les scientifiques purent alors disposer d’un outil adapté à l’exploration des matériaux à l’échelle atomique, le monde du nanomètre. Finalement en 1913, William Lawrence Bragg et William Henry Bragg (le fils et le père) ont démontré que les rayons X pouvaient être utilisés pour déterminer la structure atomique des cristaux: taille du motif cristallin et positions des atomes dans ce motif. Ce fut le début de la cristallographie, récompensé par l’attribution du prix Nobel de physique pour les deux Bragg en 1915. La rapidité de l’attribution des récompenses illustre la prodigieuse importance des découvertes de Laue et de Bragg pour la science moderne.

Premier diagramme de diffraction obtenu par les collaborateurs de Laue
Crédit iucr.org
Le dispositif expérimental : tube à rayons X, collimateur, goniomètre
Crédit iucr.org

C’est l’anniversaire de ces découvertes et prix Nobel qui est célébré en 2014. La cérémonie d’ouverture aura lieu le 20 janvier à Paris au Palais de l’UNESCO. De nombreuses manifestations sont prévues en France et dans le monde. L’ILL a pour sa part organisé une rencontre ‘Max von Laue  le 13 novembre 2012, et conjointement avec l’ESRF, une réunion scientifique ‘Bragg Symposium’ le 28 novembre 2013, suivie d’une conférence grand public à Minatec, intitulée : ’La cristallographie, les sucres et le vivant’. Pour plus de renseignements, consulter les sites :
http://www.aicr2014.fr
http://www.echosciences-grenoble.fr/sites/100-ans-de-cristallographie
http://www.echosciences-grenoble.fr/sites/100-ans-de-cristallographie/articles

Les succès de la cristallographie

La plupart des matériaux que l’on utilise dans la vie courante ne sont pas des cristaux et beaucoup n’existent pas sous forme solide, les organismes vivants ne sont pas cristallisés, alors pourquoi utiliser des cristaux pour étudier les matériaux et leurs constituants ? Parce que les méthodes de diffraction (mesures d’intensités diffractées) amplifient le signal émis par un seul motif du cristal (en gros en proportion du nombre des ces motifs). Cette amplification énorme permet d’obtenir des informations sur la forme des motifs atomiques et sur les atomes qui les composent.

Très naturellement des structures de cristaux relativement simples ont d’abord été déterminées grâce aux rayons X, puis celles de matériaux inorganiques plus complexes. La première structure d’un cristal organique a été élucidée en 1923, mais la cristallographie des molécules biologiques n’a démarré que dans les années 1940-1950, en particulier quand Rosalind Franklin utilisa la diffraction X pour déterminer la structure physique de l’ADN, que Francis Crick et James Watson modélisèrent en 1953 pour découvrir la fameuse structure en double hélice de l’ADN qui leur valut le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1963 avec Maurice Wilkins. De même la détermination de la structure de la pénicilline et de la vitamine B12 par Dorothy Crowfoot Hodgkin, pour laquelle elle a reçu le prix Nobel de chimie en 1964 a marqué le départ de la biologie structurale. Récemment le prix Nobel de chimie a récompensé les travaux de cristallographes :en 2009, Venkatraman Ramakrishnan, Thomas Steitz, et Ada Yonath qui ont étudié la structure et la fonction de grosse machine moléculaires (le ribosome) qui jouent un rôle important dans l’attaque par antibiotiques des cellules bactériennes, et en 2012 Brian Kobilka qui, grâce à ses travaux à l’ESRF, a étudié la fonction des cellules qui captent l’environnement de nos organismes.

Bien sûr, la cristallographie a permis de nombreuses avancées dans d’autres domaines que les sciences du vivant: chimie, énergie (catalyse, batteries, ..) et matériaux (procédés industriels et matériaux adaptés), mais aussi en géologie (compréhension des phénomènes volcaniques et des propriétés des matériaux au centre de la Terre), archéologie et paléontologie, etc.

Les progrès scientifiques ont été rendus possibles par les développements dans l’instrumentation et les méthodes, en particulier les sources de rayons X et les détecteurs. Il faut noter que, grâce à l’utilisation du rayonnement synchrotron,  les sources de rayons X d’aujourd’hui sont devenues un million de milliards de fois plus brillantes  aujourd’hui que les premiers tubes à rayons X.

Structure du sel de cuisine (NaCl)
Crédit Wikipedia
Structure d’un matériau supraconducteur
Crédit University of Liverpool
Structure moléculaire de la vitamine B12
Crédit Diamond
Structure tridimensionnelle d’un enzyme
Crédit Wikipedia

D’autres sondes que les rayons X ont été utilisées afin de compléter l’information fournie par les rayons X : les électrons et les neutrons. Si les électrons étaient connus depuis les années 1870’s (et utilisés pour produire les rayons par Röntgen), les neutrons ont été découverts bien plus tard que les rayons X, en 1932 par James Chadwick à Cambridge (prix Nobel de physique en 1935). Les électrons sont utilisés pour faire des expériences de diffraction mais aussi en microscopie sur des surfaces ou des films minces car on peut focaliser les faisceaux d’électrons sur des petites dimensions de l’ordre de quelques nanomètres. Les neutrons, parce qu’ils interagissent avec les noyaux atomiques et les moments magnétiques des atomes, complètent parfaitement les rayons X. Dès 1938, Enrico Fermi a reçu le prix Nobel de physique pour ses études de l’absorption des neutrons (froids) par les atomes ; en 1946 à Oak Ridge aux Etats-Unis, Ernest Wollan et Clifford Shull démontrèrent la puissance de la diffusion des neutrons pour l’étude des matériaux magnétiques lorsqu’ils observèrent le premier diagramme de diffraction d’un composé présentant un ordre antiparallèle des moments magnétiques, ordre prévu en 1936 par L. Néel. Les premières observations de modes de vibration collectifs d’atomes dans les solides en 1955 par Bertram Brockhouse  à Chalk River au Canada, déclenchèrent tout un programme d’observation de la dynamique des matériaux par diffusion inélastique de neutrons. C. Shull et B. Brockhouse reçurent le prix Nobel de physique en 1994. Aujourd’hui, neutrons et rayons X sont utilisés conjointement par les scientifiques en raison de leur complémentarité. D'ailleurs, les sources modernes de rayons X et de neutrons sont installées sur des sites communs, comme le campus EPN de Grenoble.

Symétrie d’ordre 5 observée par diffraction électronique dans un quasi-cristal
Crédit Société Chimique de France
Diffraction de neutrons par du Kevlar
Communication Dr. T. Forsyth
Diffraction de rayons X par du Kevlar
Communication Dr. T. Forsyth

Diffraction des électrons, neutrons et rayons X. Ces trois rayonnements donnent des diagrammes de diffraction apparemment similaires mais chacun révèle un aspect différent de la structure des cristaux. Par exemple, la diffraction de neutrons et de rayons X par du Kevlar montrent différents composants du matériau.

L’avenir

L’évolution de la science et des besoins technologiques pousse vers la miniaturisation des faisceaux (pour observer des nano-objets) et vers des méthodes permettant des observations en temps réel, sur des temps très courts, de l’ordre du millionième ou milliardième de seconde. Ceci n’est évidemment possible qu’avec des sources de rayonnement extrêmement brillantes. C’est pourquoi les sources de neutrons et de rayons X existantes cherchent à augmenter leurs performances : optimisation des modérateurs de neutrons pour des sources comme l’ILL, augmentation de la brillance d’un facteur au moins 30 à l’ESRF. De nouvelles sources sont en construction : sources de neutrons pulsées, et surtout laser de rayons X. Ce type de laser doit produire un faisceau pulsé de rayons X (durée des pulses inférieure à millième de milliardième de seconde soit le temps qu’il faut à la lumière pour traverser une dizaine de cheveux) extrêmement focalisé (dimensions de quelques nanomètres). Un tel laser, appelé FLASH, fonctionne déjà à Hambourg ; un autre laser produisant des rayons X plus durs est en construction également à Hambourg, il s’agit du projet européen X-FEL. Des machines similaires fonctionnent déjà aux Etats-Unis, LCLS à Stanford en Californie, et au Japon, SACLA à côté du synchrotron SPRING-8. Ces machines produisent des faisceaux X qui sont ont les mêmes propriétés de cohérence que les lasers de la lumière visible.

L’idée ultime derrière de telles machines est d’acquérir des informations sur des objets très petits, jusqu’aux molécules isolées, sans passer par l’amplification fournie par la diffraction, et d’obtenir des séries d’images décrivant leurs évolutions. Ces lasers à rayons X et les outils classiques de cristallographie, sources de neutrons et synchrotrons, sont en fait très complémentaires, car les sources classiques resteront nécessaires pour analyser et comprendre les structures et comportements d’objets microscopiques ou macroscopiques contenant des grands nombres d’atomes ou molécules.

Le projet européen X-FEL de laser rayons X à Hambourg
Crédit European XFEL
Film d’évènements très rapides observés par un laser à rayons X
Crédit SLAC Linear coherent light source

Page mise en forme par Alain Filhol, janvier 2014.

Dernière mise à jour: 19 July 2021